Livre Second : La Passion de Harndom
De la Corruption du Parjure
En la cité de Harndom, qui se dresse aujourd’hui comme le plus saint des lieux de pèlerinage, s’accomplit le mystère terrible de la Trahison. Car celui que nous nommons seulement le Parjure, ne pouvant souiller nos lèvres de son vrai nom, était devenu la proie des Sept Démons Capitaux qui depuis la chute du Premier Homme guettent l’âme humaine pour la dévorer.
La Colère l’embrasait contre le Maître qui avait tranché de Son épée sainte la tête de son frère, homme cruel qui opprimait les faibles sans pitié ni remords. L’Avarice lui murmurait à l’oreille les promesses d’or que lui faisaient miroiter les autorités auriennes. L’Orgueil lui gonflait le cœur, lui faisant croire qu’il valait mieux que ses frères dans la grâce. L’Envie le dévorait face à la gloire qui auréolait le front du Seigneur. La Gourmandise de pouvoir lui desséchait l’âme comme le désert dessèche la source. La Paresse spirituelle engourdissait sa conscience, l’empêchant de lutter contre ses propres ténèbres. Et la Luxure l’obsédait pour une femme qui rejetait ses avances impures.
Ainsi les Sept Péchés firent-ils de son cœur leur demeure, et le Malin y établit son trône. Alors le Parjure, tel Judas en son temps, alla trouver secrètement les puissants de l’Empire qui voyaient en Dast une menace à leur domination corrompue, et il leur dit : “Que me donnerez-vous si je vous le livre ?”
Du Dernier Repas et de l’Institution Sacrée
En cette nuit qui devait être la dernière, le Seigneur rassembla Ses compagnons pour le repas du soir dans une salle haute de Harndom. Et prenant le Calice d’or qui brillait comme un soleil entre Ses mains divines, Il le bénit et but, puis le donna à Ses disciples en disant : “Buvez-en tous, car ceci est Mon sang qui sera versé pour la rémission des péchés de l’humanité.”
Et prenant le pain, Il le bénit et le rompit, et le leur donna en disant : “Prenez et mangez, car ceci est Mon corps qui sera livré pour vous. Faites ceci en mémoire de Moi jusqu’à ce que Je revienne dans la gloire.”
Puis, levant Ses yeux vers le ciel étoilé, Il prononça ces paroles qui firent trembler les murs : “L’heure est venue. Cette nuit même, l’un de vous accomplira ce qui est écrit, et Je serai livré aux mains des pécheurs.”
De la Trahison et du Sacrifice
À peine ces mots étaient-ils sortis de Ses lèvres divines que le Parjure se dressa tel un démon échappé des Enfers. Son visage était devenu hideux, déformé par la haine et l’envie, ses yeux brûlaient d’un feu mauvais, et son épée siffla dans l’air comme un serpent.
“Maître !” cria-t-il d’une voix rauque, “accepte ce baiser d’adieu !”
Et se jetant sur Dast-Incarné, il Lui plongea sa lame maudite dans le dos, entre les omoplates, jusqu’à la garde. Le sang divin jaillit comme une source écarlate, et le Seigneur tomba à genoux, mais point de plainte ne sortit de Ses lèvres, seulement ces mots de pardon : “Je leur pardonne, car ils ne savent ce qu’ils font.”
Alors les compagnons, voyant leur Maître frappé, se jetèrent sur les soldats auriens qui se tenaient cachés dans l’ombre, et il y eut un combat terrible dans cette salle haute. Leurs épées chantèrent la chanson de la vengeance, et pas un ennemi ne survécut à leur colère sainte. Mais le Parjure avait fui comme un chacal dans la nuit, emportant sa honte et son crime.
Les compagnons se penchèrent sur leur Maître mourant, et leurs larmes tombaient sur Ses plaies comme la rosée sur les fleurs. Et Dast-Incarné rendit Son dernier souffle en murmurant : “Tout est accompli.”
De la Résurrection Glorieuse
Trois jours et trois nuits, le corps du Seigneur reposa dans un sépulcre de marbre blanc, gardé par les anges et pleuré par tous les justes. Mais au matin du troisième jour, quand l’aurore rosissait les cimes des montagnes, un tremblement de terre ébranla Harndom, et une lumière plus éclatante que mille soleils jaillit du tombeau.
Dast ressuscité apparut à Ses compagnons, plus glorieux qu’avant, mais portant sur Son corps la marque éternelle de la trahison : la blessure du Parjure saignait encore et saignerait toujours, rappel perpétuel du péché originel et prix de la rédemption humaine.
Sa première action fut de chercher le traître. Il le trouva sur la grande place de Harndom, prostré de honte devant la foule qui le montrait du doigt. Alors, sous les yeux de tous, le Seigneur ressuscité leva Sa main divine et gifla le Parjure - seul geste de colère jamais rapporté dans les Saintes Écritures.
Mais aussitôt après, ô merveille de la miséricorde infinie ! Il posa Sa main sur la tête du traître et dit d’une voix qui fit pleurer les pierres elles-mêmes : “Je te pardonne, car Mon amour surpasse ta malice.”
Le Parjure, brisé par ce pardon qu’il ne méritait point, s’enfuit en hurlant sa désolation et se donna la mort quelques jours plus tard, ne pouvant supporter le poids de la grâce divine qui s’offrait à lui.