La guerre contre Autchburg : l’affrontement des titans (1265-1278)

En 1265, la longue paix relative avec Autchburg prit fin brutalement. Le conflit s’enracina non pas dans une querelle d’ordre national, mais dans l’enchevêtrement complexe des ambitions dynastiques et des revendications territoriales. Le roi Firsend III d’Autchburg, que les chroniques virmiennes décrivent comme “ambitieux jusqu’à la déraison et envieux de la gloire de ses ancêtres”, décida de raviver une ancienne prétention sur le duché de Valencourt.

La raison invoquée était une alliance matrimoniale remontant à deux générations : la grand-mère de Firsend III, une princesse virmienne, avait épousé son grand-père avec une dot comprenant théoriquement des droits sur certaines terres valenciennes. Ces droits, jamais clairement définis ni exercés, servirent de prétexte légal à une entreprise militaire dont les véritables motivations étaient bien plus pragmatiques : le besoin pressant de Firsend de renflouer ses coffres personnels, de récompenser ses vassaux les plus fidèles avec de nouvelles terres, et de raviver le prestige militaire de sa dynastie par une conquête éclatante.

Cette guerre ne fut pas un coup de tête : Firsend III la préparait méthodiquement depuis des années, renforçant ses alliances, constituant des réserves financières et modernisant son armée. Son objectif avoué était d’égaler la gloire de ses illustres prédécesseurs, notamment Liarsend I, surnommé “le Grand”, dont les victoires militaires avaient considérablement étendu les frontières d’Autchburg un siècle plus tôt, lui assurant au passage un butin colossal et des terres fertiles qui firent la fortune de sa lignée.

Cette situation plaçait le duc Henri II de Valencourt dans une position délicate. Vassal du roi de Virmian mais possédant de nombreux intérêts commerciaux avec les marchands d’Autchburg, il pouvait, comme tout grand seigneur, légitimement envisager plusieurs options : honorer son serment d’allégeance envers Vilven IV, négocier séparément avec Firsend III pour préserver ses terres, ou encore adopter une position de neutralité prudente. Après d’intenses délibérations avec son conseil et plusieurs échanges diplomatiques secrets avec les deux couronnes, le duc choisit finalement de rester fidèle à son suzerain virmien, une décision influencée tant par la méfiance traditionnelle des Valencourtois envers leurs voisins autchbourgeois que par les garanties substantielles offertes par Vilven IV concernant l’autonomie future du duché.

Face à cette menace, le roi Vilven IV de Virmian convoqua donc son ost féodal, enjoignant à ses vassaux de remplir leurs obligations militaires. Cette convocation, loin d’être automatiquement suivie d’effet, nécessita d’intenses négociations avec les grands feudataires du royaume. Le duc d’Almar, par exemple, n’accepta d’envoyer son contingent complet qu’après avoir obtenu des concessions fiscales significatives pour son commerce maritime, tandis que le duc de Valdorin, réputé pour son indépendance d’esprit, fit délibérément traîner sa mobilisation jusqu’à obtenir la confirmation écrite que ses troupes ne serviraient pas sous le commandement direct de son rival, le duc de Gaucourt.

Ces tractations, caractéristiques de la nature contractuelle des relations féodales, n’étaient pas considérées comme des actes de déloyauté mais comme l’expression normale des intérêts particuliers que chaque seigneur se devait de défendre. Vilven IV, en souverain avisé, sut manier tant la fermeté que la souplesse, rappelant à chacun les termes précis de leur serment d’allégeance tout en offrant des compensations adaptées aux circonstances.

Au total, Virmian alignait environ 18 000 hommes, force considérable mais hétérogène, reflétant la diversité du royaume lui-même : chaque contingent seigneurial conservait ses propres habitudes tactiques, son équipement distinctif et souvent sa chaîne de commandement particulière. L’armée royale proprement dite, directement sous les ordres du souverain, ne comptait que 5 000 soldats professionnels, incluant les fameuses Lances de Valder, cavaliers lourdement armés reconnaissables à leurs surcots azur frappés de la fleur de lys dorée.

Les contingents ducaux constituaient le gros des forces : 4 000 hommes de Valencourt, principalement des milices urbaines aguerries et des arbalétriers disciplinés ; 3 000 guerriers d’Émerance, incluant leur redoutable infanterie lourde protégée par les célèbres armures locales ; 2 000 cavaliers et fantassins de Valdorin, moins nombreux mais magnifiquement équipés ; et 3 000 soldats des autres duchés et comtés. Pour compléter ces forces, 1 000 mercenaires mardenbourgeois avaient été engagés, spécialistes reconnus des opérations de siège.

Du côté d’Autchburg, les forces présentaient une structure similaire : une armée royale d’environ 6 000 hommes, renforcée par les contingents des grands vassaux pour atteindre un total d’environ 20 000 combattants. Leur principale force résidait dans leur cavalerie lourde nombreuse et bien entraînée, arme redoutable sur un champ de bataille ouvert mais coûteuse à entretenir sur une longue campagne.

Le conflit qui s’ensuivit fut d’une violence sans précédent depuis les guerres fondatrices du royaume. Pendant treize années, de 1265 à 1278, les armées des deux royaumes s’affrontèrent dans une série d’attaques, de contre-attaques et de trêves hivernales qui n’apportaient qu’un répit temporaire aux populations civiles prises entre deux feux. Ces campagnes successives suivaient un schéma presque rituel : chaque printemps, les armées se rassemblaient et entamaient des opérations offensives, tentant de s’emparer de places fortes ou de territoires stratégiques. L’hiver venu, les combats cessaient généralement, les troupes regagnant leurs quartiers pour éviter les rigueurs de la saison froide. Cette saisonnalité de la guerre explique en partie sa durée exceptionnelle, aucun camp ne parvenant à porter un coup décisif avant d’être contraint à l’inaction par le changement de saison.

Les terres frontalières furent particulièrement ravagées, notamment la région de Valencourt, qui vit ses villages incendiés, ses champs dévastés et ses habitants contraints à l’exil ou réduits à une misère extrême. Les chroniques rapportent que “l’herbe même refusait de pousser où les armées étaient passées, comme si la terre elle-même pleurait le sang versé”. Cette dévastation systématique n’était pas un simple effet collatéral du conflit, mais bien une stratégie délibérée visant à priver l’adversaire de ressources et à frapper son économie.

Parmi les nombreux affrontements qui jalonnèrent cette guerre, la bataille de la Rivière Rouge (1267) et le siège de Fort-Hautmont (1273) restent les plus emblématiques. Lors de la première, l’armée virmienne, bien qu’inférieure en nombre, parvint à repousser une offensive majeure d’Autchburg grâce à une utilisation judicieuse du terrain et à la bravoure exceptionnelle des archers valencourtois. Cette victoire, obtenue contre toute attente, rapporta un butin considérable aux vainqueurs : outre les équipements récupérés sur le champ de bataille, plusieurs nobles autchbourgeois de haut rang furent capturés et durent verser des rançons ruineuses pour retrouver leur liberté. Le second, qui dura neuf mois et coûta la vie à plus de 3 000 hommes des deux côtés, se solda par une victoire autchbourgeoise, mais à un prix si élevé que l’avancée ennemie en territoire virmien fut considérablement ralentie. La chute de cette forteresse, réputée imprenable, fut moins due à la supériorité militaire des assaillants qu’à la corruption du gouverneur de la place, qui aurait reçu des terres et des titres en échange de sa trahison.

Finalement, en 1278, l’épuisement mutuel des belligérants et la pression diplomatique exercée par les ducs de Vostrag, soucieux de préserver leurs intérêts commerciaux menacés par la prolongation du conflit, conduisirent à l’ouverture de négociations de paix. Ces pourparlers, menés non pas comme un traité entre les deux couronnes, mais comme une série d’accords personnels entre seigneurs, concernaient principalement le montant et les modalités des rançons ainsi que les compensations territoriales. La complexité de ces négociations illustrait parfaitement la nature décentralisée des deux royaumes. Si les deux souverains présidaient formellement les discussions, chaque grand feudataire défendait âprement ses intérêts particuliers. Ainsi, le duc de Valencourt, dont les terres avaient le plus souffert des combats, insista pour que la restitution du château de Monteil, temporairement occupé par les Autchbourgeois, fût explicitement mentionnée dans l’accord final, refusant catégoriquement de signer avant d’avoir obtenu satisfaction sur ce point précis.

De même, côté autchbourgeois, le marquis de Freiberg exigea et obtint un traitement préférentiel pour le rachat de son fils cadet, pris lors d’une escarmouche, argumentant que sa forteresse contrôlait un guet stratégique dont la sécurisation bénéficiait indirectement à la cause virmienne. Ces tractations parallèles, souvent menées en marge des séances plénières, constituaient la véritable substance des négociations.

Dans les années qui suivirent, Virmian jouissait d’une paix relative avec ses voisins, mais cette tranquillité extérieure masquait des tensions internes persistantes et une activité guerrière continue à plus petite échelle. Les guerres vassaliques – conflits armés légitimes entre seigneurs du royaume pour des questions de terres, d’héritages ou simplement de prestige – demeuraient fréquentes et constituaient une caractéristique fondamentale de la vie politique virmienne.

En 1284, par exemple, une guerre particulièrement âpre opposa le comte de Lisieux à son voisin, le baron de Haute-Roche, concernant les droits de pêche sur la rivière Sarne qui séparait leurs domaines. Ce conflit, qui dura trois ans et impliqua jusqu’à 2 000 hommes à son apogée, se déroula entièrement sans intervention royale, chaque seigneur exerçant simplement son droit traditionnel de régler par les armes un différend avec son pair.

De même, en 1291, le duc de Valdorin n’hésita pas à mobiliser ses vassaux pour mater la rébellion de l’un d’entre eux, le vicomte de Sauveterre, qui refusait de reconnaître ses obligations féodales. Cette “guerre privée”, bien que se déroulant techniquement au sein du royaume, était considérée comme une affaire interne au duché, le roi n’intervenant que si la stabilité générale du royaume semblait menacée.

Ces affrontements étaient généralement tolérés par le pouvoir royal tant qu’ils ne menaçaient pas l’autorité suzeraine ou les intérêts vitaux du royaume. Ils servaient même parfois d’exutoire aux énergies belliqueuses de la noblesse, permettant aux jeunes chevaliers de s’illustrer et aux seigneurs ambitieux d’étendre leurs domaines sans impliquer directement la couronne dans des conflits coûteux.

La fréquence de ces guerres vassaliques variait considérablement selon les régions. Dans les provinces centrales, proches de Valder et directement sous l’œil attentif du pouvoir royal, les seigneurs tendaient à régler leurs différends par des voies juridiques ou par des compromis négociés, conscients qu’un conflit ouvert pourrait provoquer l’intervention du souverain. En revanche, dans les marches éloignées, particulièrement dans les confins montagneux d’Émerance ou les régions boisées d’Almar, les guerres locales constituaient presque une activité saisonnière, rythmant la vie des communautés au même titre que les cycles agricoles.