La guerre contre Emerance et sa soumission (627-640)

Les premières décennies du VIIe siècle virent Virmian consolider progressivement sa position, alternant périodes de paix relative et conflits localisés avec ses voisins. Le commerce se développa, les villes s’agrandirent, et l’administration royale commença à prendre forme avec l’établissement des premiers baillis et sénéchaux royaux dans les provinces les plus éloignées de la capitale.

C’est dans ce contexte de renforcement institutionnel que survint un événement qui allait marquer durablement l’histoire du royaume. Sous le règne du roi Harzen III, surnommé “le Juste” par ses sujets et “le Terrible” par ses ennemis, un nouveau conflit émergea, cette fois avec le royaume d’Emerance. Cette petite entité semi-insulaire, elle aussi issue des décombres de Mirst, s’était peu à peu laissée gagner par une arrogance funeste, encouragée par sa position géographique avantageuse et la richesse de ses mines d’argent et de fer.

La tension entre les deux couronnes atteignit son paroxysme lorsque Folsan, prince de sang et frère bien-aimé du roi Harzen, fut envoyé en mission diplomatique à Emerance pour négocier des accords commerciaux. En chemin, lui et son escorte de trente hommes tombèrent dans une embuscade tendue par des hommes d’armes d’Emerance, sous les ordres directs du prince Distran, neveu du roi Aldben I.

Face à cette traîtrise, Folsan, fidèle aux coutumes chevaleresques, défia Distran en duel singulier, selon l’antique tradition. Mais ce dernier, bafouant tous les codes de l’honneur, refusa de se plier à cette coutume et, dans un acte d’une cruauté inouïe, fit égorger le prince sans la moindre pitié, “comme on saigne un pourceau”, relatent les chroniques de l’époque. La suite fut plus macabre encore : la tête de Folsan fut envoyée à Valder dans un coffret de bois précieux, accompagnée d’un message provocateur. La nouvelle de ce meurtre odieux plongea Harzen III dans une colère si terrible que, selon les témoins, “les murs mêmes du château de Valder semblaient trembler devant sa fureur”. Sans attendre, il convoqua ses vassaux et rassembla une armée de 8 000 hommes, force considérable pour l’époque qui témoignait tant de la gravité de l’affront que des progrès réalisés par Virmian dans sa capacité à mobiliser des ressources.

Si le prétexte officiel de cette mobilisation était la vengeance d’un frère bien-aimé, la véritable motivation, tant pour le roi que pour ses barons, était la perspective d’un butin considérable. Emerance, avec ses mines d’argent, ses forêts abondantes et ses forges renommées, représentait une proie tentante pour une noblesse toujours avide d’accroître ses possessions.

Cette armée, bien que numériquement impressionnante, restait de composition traditionnelle pour l’époque: environ 1 200 cavaliers, dont 400 chevaliers en armure complète et 800 écuyers et sergents à cheval légèrement armés; 5 000 fantassins, mélange hétéroclite de milices urbaines relativement bien équipées et de levées paysannes munies d’armes rudimentaires; 800 archers et arbalétriers; et enfin un millier d’auxiliaires (pionniers, charretiers, artisans, etc.) essentiels à la logistique d’une telle force. Le premier objectif de cette campagne punitive fut Eldeburg, cité frontalière d’une importance stratégique majeure. Après un siège de deux mois durant lesquels les mangonneaux virmiens martelèrent sans relâche les remparts, la ville tomba aux mains des assiégeants. Cette victoire, loin d’être le fruit d’une quelconque supériorité tactique, fut largement facilitée par la trahison du maître des portes d’Eldeburg, qui, pour une bourse d’or et la promesse d’un domaine, ouvrit secrètement une poterne aux assaillants. Dans un geste rare pour l’époque, Harzen III autorisa la population civile à fuir avec le strict minimum, non par compassion véritable mais par calcul politique. En préservant les artisans et paysans, il s’assurait que les terres conquises resteraient productives et les ateliers actifs, garantissant ainsi des revenus futurs. Sa clémence s’arrêta là. Les combattants capturés, du simple homme d’armes au chevalier, furent systématiquement pendus aux branches des chênes qui bordaient la route principale, créant une “allée de la mort” qui s’étendait sur près d’une lieue. Ce spectacle macabre, destiné à servir d’avertissement, eut l’effet escompté : plusieurs garnisons des places fortes environnantes, terrifiées par ce sort, choisirent de se rendre sans combattre.

Aldben I, roi d’Emerance, tenta de réagir face à cette offensive dévastatrice. Il convoqua ses propres troupes et ses vassaux, espérant réunir six mille hommes pour faire face à la menace virmienne. Cependant, les années de mauvaise gouvernance et d’excès fiscaux avaient érodé la loyauté de nombreux seigneurs. Beaucoup calculaient déjà les avantages qu’ils pourraient tirer d’un changement de suzerain, estimant que leurs intérêts personnels seraient peut-être mieux servis sous la bannière virmienne. Seuls quatre mille soldats répondirent à l’appel, les autres vassaux préférant attendre de voir quelle tournure prendraient les événements avant de s’engager dans un conflit qu’ils pressentaient perdu d’avance.

Malgré cet écueil considérable, Aldben, poussé par la nécessité et l’absence d’alternatives viables, marcha à la tête de ses maigres forces pour affronter les armées de Virmian, qui assiégeaient alors la cité d’Orbal. Dans un discours désespéré à ses troupes, il promit terres et titres à ceux qui se distingueraient au combat, ultime tentative pour stimuler leur ardeur. Ces promesses, bien que généreuses, sonnaient creux face à la supériorité numérique écrasante de l’ennemi et à la réputation terrifiante qu’il s’était forgée à Eldeburg.

La bataille d’Orbal, qui s’ensuivit par une journée pluvieuse de l’automne 637, fut d’une brutalité inouïe même pour cette époque habituée aux horreurs de la guerre. Les troupes d’Emerance, misant sur un effet de surprise pour inverser le cours inexorable du conflit, virent leur plan réduit à néant par la trahison d’un de leurs propres capitaines. Ce dernier, le seigneur Adalbert de Montcenis, voyant la défaite inévitable, avait négocié en secret sa future position dans le royaume conquis, livrant en échange les détails des dispositions tactiques émerançoises.

Ce revers fut fatal : l’armée d’Emerance, déjà désorganisée et largement inférieure en nombre, fut prise en tenaille entre le gros des forces virmiennes et un contingent de cavalerie lourde qui avait contourné le champ de bataille. L’écrasement fut méthodique et sans pitié, transformant les plaines verdoyantes d’Orbal en un bourbier sanglant où la boue se mêlait aux entrailles des mourants.

Les représailles furent à la hauteur de la fureur d’Harzen III. Les capitaines capturés furent pendus sans procès, et Aldben I lui-même, capturé alors qu’il tentait de fuir déguisé en simple soldat, fut condamné à être décapité. L’exécution eut lieu sur la grande place d’Orbal, devant sa noblesse humiliée et une foule silencieuse. La chronique de Frère Honorat relate qu’Harzen III, refusant de confier cette tâche au bourreau, dégaina sa propre épée, Justiciare, et trancha lui-même la tête du roi vaincu, déclarant : “Ainsi périssent ceux qui manquent à l’honneur.”

À l’issue de cette défaite écrasante, Emerance perdit son indépendance et fut transformée en une terre princière sous la domination directe de Virmian, devenant une sorte de royaume au sein du royaume. Ses nobles durent prêter serment d’allégeance à la couronne virmienne, serment scellé non seulement par des paroles solennelles mais aussi par des mariages forcés avec des familles loyales à Virmian, garantissant ainsi que les intérêts des vainqueurs seraient désormais entrelacés avec ceux des vaincus. La richesse minière d’Emerance, notamment ses mines d’argent et de fer, fut systématiquement exploitée au profit de la couronne et des grands seigneurs virmiens qui avaient participé à la campagne. Cette appropriation d’une industrie stratégique fut l’un des bénéfices les plus durables de cette conquête, renforçant considérablement la puissance militaire du royaume pour les générations à venir.

La rapidité avec laquelle la conquête fut consolidée témoigne de l’habileté politique d’Harzen III. En maintenant intactes certaines institutions locales et en respectant les coutumes émerançoises, tout en plaçant des hommes de confiance aux postes clés et en établissant des garnisons permanentes dans les principales forteresses, il réussit à intégrer ce territoire au royaume sans provoquer de révoltes majeures.