Le Roi des Bandits; l’ombre qui faillit engloutir le royaume (1459-1464)
Après la révolte des pêcheurs et les mesures d’apaisement qui s’ensuivirent, le royaume sembla retrouver une relative tranquillité. Mais dans l’ombre, telle une maladie insidieuse qui se développe sans symptômes apparents avant de frapper avec une violence inouïe, une menace plus terrible encore grandissait au cœur même de Virmian. Albert d’Arsenbel, issu d’une branche cadette et appauvrie d’une noble famille autchbourgeoise, avait servi avec distinction comme capitaine dans l’armée royale virmienne. Stratège brillant et meneur d’hommes charismatique, il s’était illustré lors de plusieurs campagnes frontalières. Pourtant, cet homme que tout semblait destiner à une carrière militaire honorable nourrissait en secret une ambition dévorante et une rancœur tenace contre l’ordre établi.
Tombé en disgrâce suite à une obscure affaire de détournement de solde, accusation qu’il clama toujours être un complot ourdi par des rivaux jaloux, Albert fut dégradé et banni de la cour. Cette humiliation publique transforma un officier loyal en un ennemi implacable du royaume. Disparaissant dans les régions frontalières, il commença patiemment à tisser un réseau criminel d’une ampleur sans précédent.
Exploitant le mécontentement persistant après la révolte des pêcheurs et le ressentiment de bande de mercenaires démobilisés en recherche de monnaie, Albert rassembla autour de lui une armée hétéroclite mais dangereusement efficace. Écorcheurs, mercenaires sans contrat, déserteurs, bandits de grand chemin et même quelques nobles déchus trouvèrent place sous sa bannière noire. Par un mélange de terreur calculée, de promesses séduisantes et de victoires faciles contre des cibles faiblement défendues, il forgea cette masse disparate en une force militaire capable de défier l’autorité royale.
En 1464, après près de cinq années de préparation minutieuse, Albert disposait déjà d’une armée de l’ombre forte d’environ 7 000 hommes, disséminés stratégiquement à travers le duché de Volmarn. Cette région, relativement centrale et négligée par le pouvoir par et affaiblie par des années de mauvaise gestion, offrait un terreau fertile pour ses ambitions.
La nuit du 7 au 8 avril 1464, date qui reste gravée dans la mémoire collective comme “la Nuit des Poignards”, ce réseau criminel passa simultanément à l’action, révélant enfin l’étendue terrifiante de son infiltration. Grâce à des complices soigneusement placés – gardes corrompus, serviteurs mécontents, notables sous chantage – les hommes d’Albert prirent d’assaut les forteresses et cités du duché dans une opération parfaitement coordonnée. Les garnisons, surprises dans leur sommeil, furent massacrées avant même d’avoir pu sonner l’alarme. Les capitaines et chevaliers, priorités de cette purge sanglante, furent égorgés dans leurs lits, souvent avec leurs familles entières. En une seule nuit de terreur, le duché tout entier, à l’exception du château de Volmarn lui-même, de la fortresse de Chotriv et du château de Barlom tomba aux mains des bandits. L’historien militaire Renaud de Hautecombe décrivit plus tard cet événement comme “la plus parfaite application de la stratégie de la paralysie décapitante jamais vue dans l’histoire du continent depuis la révolte de l’empereur Ostavius II”.
Le château ducal de Volmarn, dernière poche de résistance, était défendu par six chevaliers bannerets accompagnés de leurs hommes d’armes, et quelques sergents d’armes ducaux. Malgré la vaillance des défenseurs et l’avantage défensif de la forteresse, ils ne purent résister longtemps face à la supériorité numérique écrasante des assaillants. Après trois jours d’un siège brutal, les murailles furent franchies et le château tomba. Le duc Enguerrand de Volmarn, vieillard de 72 ans mais encore robuste, prit personnellement les armes et mourut en combattant, emportant selon la légende sept bandits avec lui avant de succomber.
Le sort réservé à la famille ducale illustre la cruauté calculée qui était la marque d’Albert d’Arsenbel. La tête du duc, plantée au bout d’une pique, fut exhibée dans une procession macabre à travers les rues de la capitale ducale. Son fils aîné et héritier fut contraint d’assister aux viols répétés de sa femme et de ses filles par les lieutenants d’Albert, avant d’être lui-même écartelé sur la place du marché. De tels actes, loin d’être de simples débordements de violence, faisaient partie d’une stratégie délibérée visant à terroriser la population et à briser toute velléité de résistance.
En l’espace de deux journées sanglantes, environ 3 000 soldats ducaux et la quasi-totalité des troupes seigneuriales du duché furent anéanties. Les survivants, souvent gravement mutilés pour servir d’exemple, furent renvoyés vers les provinces voisines pour y répandre la terreur. C’est à ce moment qu’Albert, ivre de son succès, commit peut-être sa première erreur stratégique en se proclamant publiquement “Roi des bandits”, affirmant que “le temps des nobles était révolu et que l’heure était venue pour ceux qui travaillent de leurs mains de prendre leur dû par la force”.
Cette déclaration, qui visait probablement à rallier davantage de mécontents à sa cause, eut l’effet inverse : elle provoqua un sursaut d’unité parmi la noblesse virmienne, jusque-là parfois divisée par des querelles internes. Le roi Valn I, décrit par ses contemporains comme un homme généralement placide et peu enclin aux décisions hâtives, fut saisi d’une colère froide en apprenant la chute de Volmarn. “Ce n’est pas seulement un duché qui est en jeu, mais l’ordre même sur lequel repose notre royaume”, déclara-t-il devant le Conseil Royal.
La réponse fut à la hauteur de la menace. En moins de deux semaines, Valn I mobilisa une armée de 16 000 hommes, réunissant non seulement ses propres troupes mais aussi les contingents de tous ses vassaux, y compris ceux qui entretenaient habituellement des relations tendues avec la couronne. Cette union sacrée face au danger commun témoignait de la gravité perçue de la situation.
Cette armée royale, commandée par le vétéran Gontran de Hauteville, était composée de 3 000 cavaliers lourdement armés, 2 000 cavaliers légers, 4 000 arbalétriers et 7 000 fantassins, dont une grande partie d’hommes d’armes à pied portant des vouges et pertuisanes, armes d’hast particulièrement efficaces contre la cavalerie. C’était une force considérable pour l’époque, représentant presque la totalité des capacités militaires du royaume.
Trois semaines seulement après la chute de Volmarn, cette armée royale, la plus importante jamais assemblée depuis la guerre contre Autchburg, entra en action. Divisée en trois corps pour couvrir plus de terrain, elle commença à traquer méthodiquement les forces d’Albert. Contrairement aux bandits, habitués aux coups de main rapides contre des cibles isolées, l’armée royale pouvait soutenir une campagne prolongée grâce à ses lignes d’approvisionnement sécurisées et à sa discipline supérieure.
L’affrontement décisif eut lieu près des reste de la ville de Barlom, dans une vaste plaine bordée de forêts denses. Albert, probablement conscient que ses forces ne pouvaient rivaliser en combat conventionnel avec l’armée royale, tenta d’attirer celle-ci dans un piège élaboré, dissimulant une partie de ses troupes dans les bois environnants pour une attaque surprise sur les flancs. Mais le commandant royal, averti par ses éclaireurs des mouvements suspects, modifia son plan d’attaque à la dernière minute.
Au lieu de s’engager au centre comme prévu, il concentra ses forces sur l’aile gauche des bandits, la plus faible, tout en maintenant une pression constante sur le centre pour fixer les troupes ennemies. Cette manœuvre, exécutée avec une précision remarquable par des troupes bien entraînées et motivées, provoqua l’effondrement rapide du flanc ciblé. Les bandits, voyant leur ligne rompue et craignant d’être encerclés, commencèrent à se replier en désordre.
Ce qui avait commencé comme une retraite tactique se transforma bientôt en déroute générale. Les 7 000 hommes d’Albert, déjà inférieurs en nombre et surtout en organisation, furent littéralement écrasés par la puissance de l’armée royale. Plus de 4 000 d’entre eux périrent sur le champ de bataille, fauchés par les charges de la cavalerie lourde ou abattus par les archers royaux alors qu’ils tentaient de fuir.
Les survivants cherchèrent refuge dans les forêts environnantes, mais ils furent impitoyablement pourchassés par des cavaliers légers, les fameux “chasseurs gris”. La majeure partie de ces rescapés fut capturée dans les jours qui suivirent et pendue sans procès aux arbres bordant les routes principales, servant d’avertissement macabre à quiconque songerait à suivre leur exemple.
Quant à Albert d’Arsenbel lui-même, le “Roi des bandits”, il disparut dans la confusion de la bataille et ne fut jamais retrouvé, mort ou vif, malgré les recherches acharnées et la récompense considérable offerte pour sa capture. Certains récits affirment qu’il périt anonymement au cœur de la mêlée, d’autres qu’il parvient à s’échapper vers Autchburg avant de passer en Poldrast-Litarn où il serait mort paisiblement avec le butin qu’il avait amassé personnellement. Des rumeurs plus fantaisistes encore prétendent qu’il vit toujours, sous une identité d’emprunt, attendant son heure pour se venger. Quelle que soit la vérité, sa disparition contribua à forger sa légende noire, alimentant les cauchemars populaires pendant des générations.
Dans leur fuite désespérée, les bandits se livrèrent à un dernier acte de vengeance aveugle, incendiant et pillant systématiquement les terres qu’ils traversaient. Villages, moulins, petits châteaux et même quelques cités importantes furent réduits en cendres, leurs habitants massacrés ou contraints à l’exil. Le duché de Volmarn, déjà éprouvé par les exactions d’Albert, fut littéralement ravagé d’est en ouest, au point que certaines zones restent désertes jusqu’à nos jours.
Seuls quelques lieux furent miraculeusement épargnés par cette vague de destruction : le château de Barlom, dont la garnison parvint à repousser les assaillants ; la forteresse de Chotriv, située sur un éperon rocheux inaccessible aux forces en déroute ; et, plus étonnamment, l’auberge de Montjoi. Cette dernière dut son salut à la sa qualité de lieu saint, étant le lieu de départ de Saint-Marc et ses 13 compagnons.
Le sud du duché, région pauvre mais densément peuplée, fut relativement épargné, car rapidement repris et sécurisé par l’armée royale. Mais dans l’ensemble, Volmarn sortit de cette tragédie comme un territoire sinistré, sa population décimée, son économie anéantie, ses terres arables souillées par le sang et les cendres. Le chroniqueur royal Aldric de Montferrat nota tristement que “là où jadis s’élevaient villages prospères et champs dorés ne restaient que des spectres de pierre noircie et une terre que même les corbeaux semblaient fuir”.
La reconstruction qui suivit fut lente et douloureuse. Le roi Valn I, conscient de l’importance stratégique de ce duché frontalier, y engagea des ressources considérables, exemptant la région de taxes pendant dix ans et encourageant le repeuplement par des colons venus d’autres provinces. Malgré ces efforts, Volmarn ne retrouva jamais sa prospérité d’antan et reste aujourd’hui encore la région la plus pauvre du royaume, un terreau fertile pour le banditisme et la contrebande.
Plus inquiétant encore, l’ombre du “Roi des bandits” plane toujours sur ces terres. Des rumeurs périodiques circulent sur l’apparition d’un “nouveau roi”, héritier spirituel d’Albert d’Arsenbel, prêt à reprendre son œuvre de chaos. Ces craintes, souvent infondées mais profondément ancrées dans l’imaginaire collectif, alimentent une politique anti-banditisme particulièrement sévère dans tout Virmian, mais surtout dans les régions autrefois touchées par le fléau. Les auberges y sont régulièrement inspectées, les voyageurs inconnus soumis à des interrogatoires minutieux, et les bandits capturés exécutés publiquement avec un cérémonial destiné à maximiser l’effet dissuasif.